samedi 31 mai 2014

1952 – La Cruche de la Lande

1952 – La Cruche de la Lande

Canzone française – La Cruche de la Lande – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 53
An de Grass : 52

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



LANDE DE LUNEBOURG


Mil neuf cent cinquante-deux, encore une fois, c'est un narrateur, dont on ignore le nom qui raconte cette histoire d'Allemagne. 1952, souviens-toi, c'est l'année où l'Allemagne Fédérale est en quelque sorte libérée de l'occupation des Alliés – USA, France et Royaume-Uni. Mais comme à l'ordinaire, notre chanson ne se préoccupe pas vraiment de ces événements d'actualité si éphémères et qui passent tant au-dessus de la tête et de la vie des gens. De ceux qu'on appelle chez nous, dans le parler populaire, les vraies gens.


J'avais, en effet, Marco Valdo M.I., mon ami, depuis fort longtemps remarqué ce genre de paradoxe... Que les événements qui sont considérés par ceux qui font bruisser les informations, qui les font ronfler comme des moustiques, comme les plus importants, ces événements-là sont sans véritable importance pour les gens... et pas seulement à ce moment, mais même, et j'ajouterais volontiers surtout, à plus longue échéance. En fait, ils sont l'écume des jours. La vie, la vraie vie se déroule sous la surface du temps.


Donc, pour en revenir à notre chanson, elle apporte un récit autrement plus significatif... Celui de l'arrivée de la télévision dans la vie quotidienne... Et là, il se passe quelque chose... En effet, la vie quotidienne change... À tout le moins pour le narrateur... Tu verras comment... et tu verras tout tracées ses évolutions. On peut également – on doit – voir dans cette Histoire de Gundel non seulement, une Histoire d'Allemagne, mais une parabole de l'Histoire d'Allemagne, une allégorie. De l'Allemagne écrasée à l'Allemagne reprospérant... Avec cette contraposition qui fait passer du refrain négatif :

« Engourdie à la lisière de la forêt
La Cruche de la Lande périclite
Depuis la mort de ma mère,
Notre auberge n'intéresse plus mon père »

qu'on peut considérer comme une description de l'état de l'Allemagne après la guerre avec cette quasi-hibernation des hommes, à la reprise marquée par le dernier refrain de la chanson... soudain, modifié dans sa texture :

« Les gens disent depuis Lunebourg à Eisenach
Venue de Silésie au pays du grand Bach
Gundel sait ce qu'elle veut
La Cruche prospère à qui mieux mieux. ».


Quand même, dit Lucien l'âne, parabole pour parabole, cette Gundel me rappelle étrangement quelqu'une, laquelle, il me semble, est en train de vouloir caporaliser l'Europe entière... et de la faire marcher à son pas. Je dis bien « caporaliser » en pensant à certain caporal à moustache... Il me semble que si la méthode a changé, le but reste le même... et certaine suffisance et certaine arrogance me remémorent d'autres temps. Moi qui ai quelque proximité antique avec les gens et les paysages de Grèce, je ressens là comme une sorte de colonisation en marche... Regarde ce qu'ils ont fait aux Grecs et méfie-toi de ce qu'ils vont faire aux autres vraies gens du continent... Il est plus que temps Marco Valdo M.I, mon ami, que nous reprenions notre tâche essentielle de tisser le linceul de ce vieux monde bégayant, arrogant, suffisant, caporalisant et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





Engourdie à la lisière de la forêt
La Cruche de la Lande périclite
Depuis la mort de ma mère,
Notre auberge n'intéresse plus mon père

Noël est pour bientôt
À la vitrine des marchands de radio
Les gens s'entassent malgré l'hiver
Pour voir la merveille et son écran de verre
À Lunebourg, on est nombreux devant la vitrine
À zyeuter l'étrange lucarne à la tombée du jour
Un certain Docteur Pleister fait son discours
Gundel et moi, on regarde la speakerine
Elle est là comme un reflet identique
Tremblant sur le miroir magique
En robe à fleurs et à ramages
Souriante, timide et bien sage
Flottant dans son brouillard de neige
Je tombe les bras en croix dans le piège.

Engourdie à la lisière de la forêt
La Cruche de la Lande périclite
Depuis la mort de ma mère,
Notre auberge n'intéresse plus mon père

La télévision, en ce temps-là,
Le message du pape en noir et blanc,
C'était du sérieux, on ne rigolait pas
Ils ne faisaient pas encore l'amour, sur l'écran.
Même pendant le match de foot Hamborn – Sankt-Pauli.
Et la chanson « Prends ton maillot de bain ».
Gundel et moi, on se tient par la main
Au Nouvel-An, on est devenus de bons amis.
Réfugiée de Silésie, elle travaille chez Salamander
J'ai présenté Gundel à mon père
Il approuvait mon choix
Je lui ai présenté La Cruche de la Lande,
Elle aimait l'endroit
La lande et son ambiance allemande.

Engourdie à la lisière de la forêt
La Cruche de la Lande périclite
Depuis la mort de ma mère,
Notre auberge n'intéresse plus mon père

Une maîtresse femme, ma Gundel
Elle a secoué mon père et relancé la maison
D'un grand écran Philips, elle a tiré une clientèle
D'habitués, qui venaient pour le feuilleton.
Dans notre Cruche repeuplée
Elle servait les recettes du marmiton de la télévision.
Gundel, de l'auberge a fait une pension
En mangeant devant la cheminée
On suit les péripéties de la famille Schölermann
Au bord de la lande, on est tous des Schölermann.
Allemands moyens, on prend du poids
Entretemps, je suis devenu papa, trois fois
Gundel, disent les gens, elle sait ce qu'elle veut
Moi, je peigne mes cheveux.

Les gens disent depuis Lunebourg à Eisenach
Venue de Silésie au pays du grand Bach
Gundel sait ce qu'elle veut
La Cruche prospère à qui mieux mieux.


En mangeant devant la cheminée
On suit les péripéties de la famille Schölermann

vendredi 30 mai 2014

1953 – La Chasse aux Chars

1953 – La Chasse aux Chars

Canzone française – La Chasse aux Chars – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 54
An de Grass 53
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.




Les ouvriers des chantiers de la Stalinallee
Ont tout bloqué, tout paralysé
Puis les chars sont arrivés
L'insurrection fut écrasée







Mil neuf cent cinquante-trois, encore une fois Berlin... Un Berlin sorti de la guerre, un Berlin qui se reconstruit. Mais comme tu le sais, un Berlin divisé. L'affaire est racontée par le narrateur qui est témoin visuel de l'insurrection ouvrière qui a éclaté le 16 juin 1953... Comme tu le verras dans la chanson du jour, dans cette chanson d'Allemagne, il n'est pas sans intérêt de préciser qui est le narrateur et où il se situe dans cette histoire précisément. Le narrateur tel qu'il apparaît dans la chanson est Günter Grass lui-même et pour s'en convaincre il suffit de se reporter à l'Agfa-Box, roman finalement assez court où le même narrateur fait sa propre biographie et celle de ses familles successives. Quant à Anna la danseuse, venue de Suisse, elle fut également une de ses compagnes. Ainsi en va-t-il pour les « témoins » des événements ; quant à l'endroit d'où ils assistent à certains moments de cette insurrection, c'est très exactement la Potsdamer Platz, épicentre du séisme social et accessoirement, politique, qui va opposer les ouvriers de Berlin aux couches dirigeantes de la société. Il convient de préciser que les ouvriers qui affrontèrent les chars russes à coups de pavés (et autres objets utiles) avaient une ambition révolutionnaire pour l'ensemble de l'Allemagne... Que le Mur de Berlin fut la suite de leur insurrection est une évidence et que ce soit leur mouvement, poursuivi comme en souterrain, et qui comme la taupe sous la terre resurgit plus loin, qui finalement emporta les bureaucrates de la Démocratique, tu le conçois et c'est ce que dit le narrateur :
« Quarante ans plus tard encor,
Changement de décor
Sous nos yeux, à la danseuse et moi
Les jeteurs de pierre ont mis les chars hors de combat. »


Donc, si je résume : Günter Grass raconte en direct cette insurrection révolutionnaire des ouvriers de Berlin et la recadre dans le continuum de l'histoire... Mais peux-tu ajouter quelques détails et par exemple, pourquoi les ouvriers déclenchent ce mouvement....


Nous sommes le 17 juin, les chars entrent dans le débat et l'armée soviétique appelée au secours par les dirigeants du Parti Communiste de la RDA intervient rudement. On tire au canon dans Berlin et ensuite, le mouvement et la répression s'étendent ailleurs en Allemagne de l'Est. La répression, rends-toi compte de l'absurde de la chose – on se trouve en théorie dans un État qui se veut socialiste, la répression donc frappe les ouvriers qui ont déclenché les manifestations en raison de leur attachement au socialisme, en raison de leur propre volonté de réellement construire un vrai système socialiste. Et c'est précisément contre des mesures de rentabilisation, d'accroissement des cadences de travail, d'augmentation des prix que leur colère va exploser.


En somme, ils subissaient ce que subissent aujourd'hui les Grecs.


Et comme pour les Grecs, on va dévier leur insurrection et lui donner un sens qu'elle n'a jamais eu... Ces ouvriers ne souhaitaient pas ni à ce moment, ni plus tard quand ils mettront fin au régime des bureaucrates, ils ne souhaitaient pas tomber de Charybde en Scylla, basculer de l'imbécillité bureaucratique dans la misère capitaliste. Mais j'anticipe, comme le fait la chanson elle-même, sur les événements. Nous y reviendrons.


En fait, pour dire les choses comme tu l'avais indiqué dans une autre chanson que tu avais intitulée « L'Autre Côté du Mur »[[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=7911&lang=it]],
« On avait oublié que comme un mur
A deux côtés
Il faut abattre un côté, puis l'autre.
C'est la vie.

La dictature d'un parti a construit le mur
Les gens de là-bas l'ont fait tomber
Ils ont abattu un côté, on doit abattre l'autre
C'est la vie. 
»


Et cela, vois-tu Lucien l'âne mon ami, n'a pas encore eu lieu... Mais les événements ont changé de dimensions... On doit regarder cette histoire au niveau de l'Europe entière, qui est le nouveau territoire, le nouvel empire à discipliner...


Oui, oui, c'est toute l'Europe qui est maintenant le champ de manœuvres et il va s'agir, il s'agit déjà de la mettre au pas de la loi libérale : Arbeit macht frei ! Partout en Europe, sous la houlette « européenne », sous le couvert de réglementations communautaires, on impose la destruction des services publics, la privatisation de tous les secteurs, l'allongement de la durée du travail, le recul de l'âge de la retraite, la réduction des droits et des allocations sociales, la diminution des salaires, la précarisation des emplois, la généralisation de l'interim... Par parenthèse, c'était le programme de Mussolini dès les années 1920. Bref, on est en pleine offensive des riches dans cette Guerre de Cent Mille Ans qu'ils font aux pauvres pour renforcer leur domination, pour accroître leurs profits, pour étendre leurs privilèges, pour mieux asseoir l'exploitation, pour répandre la logique d'entreprise, pour imposer leur main-mise sur tous les secteurs de la vie...Voilà ce vieux monde dont il faut nous débarrasser... Tissons donc, Marco Valdo M.I. mon ami, le linceul à ce vieux monde trop libéral pour être honnête, radin, stupide et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Berlin, mil neuf cent cinquante-trois, dit le narrateur,
Anna et moi, on avait pourtant du cœur.
Potsdamer Platz sous la pluie
On regardait flamber la Maison de la Patrie
Les chars somnolaient dans la foule ouvrière
Les fantassins russes creusaient la frontière
Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
Sur le moment, on ne comprenait pas
Et puis, Anna la danseuse et moi
Moi, le poète compulsif, le sculpteur,
Nous deux, témoins de la mâle heure
On n'était pas des ouvriers en colère
On ne chassait pas les chars à coups de pierre


Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
Les ouvriers des chantiers de la Stalinallee
Ont tout bloqué, tout paralysé
Puis les chars sont arrivés
L'insurrection fut écrasée
Les morts de l'Est, les morts de l'Est
Les gens de l'Est, les petites gens de l'Est
Ceux des usines, ceux des quartiers
Par dizaines fusillés, lynchés, exécutés
Des milliers et des milliers
À Bautzen, au pénitencier
Un métro à l'heure de pointe... Plein
Rempli à ras bord de plébéiens


Berlin, mil neuf cent soixante-trois
Anna la danseuse et moi
Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
On était là. Au théâtre, cette fois
Coriolan, Shakespeare et moi
Les plébéiens répétaient l'insurrection
Depuis, sur les autobahns de la consommation.
L'insurrection ouvrière en fête nationale maquillée
Tue et tue encore chaque année
Quarante ans plus tard encor,
Changement de décor
Les jeteurs de pierre ont mis les chars hors de combat.
L'histoire est surprenante parfois...


jeudi 29 mai 2014

1954 – Le Miracle de Berne – Das Wunder von Bern

1954 – Le Miracle de Berne – Das Wunder von Bern

Canzone française – Le Miracle de Berne – Das Wunder von Bern – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 55

An de Grass : 54

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



Ce n'étaient pas des vitamines
Ces injections de pervitine...
Une kolossale tricherie
Pour toujours, l'étoile est ternie
Ce trophée qu'ils ne méritent pas
Le rendront-ils un jour aux valeureux Hongrois ?








Mil neuf cent cinquante-quatre, nous voici en mil neuf cent cinquante-quatre, comme le temps passe, mon ami Lucien l'âne...


Dis-donc, Marco Valdo M.I. mon ami, il y avait bien longtemps que tu nous avais présenté une de tes Histoires d'Allemagne, je me demandais ce qui se passait... Si tu n'avais pas abandonné ton projet de faire les cent chansons, comme tu l'avais dit, sur les cent textes de Günter Grass, racontant cent ans de l'Histoire de l'Allemagne. Et voilà soudain que tu te mets à vouloir chanter un miracle ? Je vois bien au titre en allemand que c'est sûrement une histoire d'Allemagne, mais encore ? Te voilà confit en dévotion et pour quelle sainte ? Songes-tu à Marie ? Songes-tu à Madeleine ?


Ah, mon ami Lucien l'âne, il n'est pas du tout question de religion, ni d'honorer une sainte, fût-elle Marie, fût-elle Madeleine, femme expérimentée, qui, si j'en crois l'Évangile selon Jésus, épousa le Nazaréen et lui fit beaucoup d'enfants... Mais une fois n'est pas coutume, si tu le veux bien, je te chanterai un moment particulièrement palpitant de l'épopée du football... Car il est ainsi le rôle des aèdes qu'il leur revient de chanter les grands moments des épopées... Et tu admettras qu'il n'est pas plus idiot de chanter le Miracle de Berne que la Guerre de Troie, de relater la confrontation entre les onze valeureux Hongrois et les onze Allemands trop exaltés que le massacre d'Hector par Achille. Et tu verras que cette histoire ne manque pas de surprendre, même un âne futé comme toi...


Parce que tu crois que je ne ne sais pas déjà que ce « miracle de Berne – Wunder von Bern » tient au fait de la victoire de l'Allemagne, pour la première fois, en finale d'une Coupe du Monde de football ou d'un championnat du monde... Pour moi, c'est du pareil au même. Je perçois très bien pourquoi on a parlé – en Allemagne – de miracle... Mais quel saint ou quelle sainte était derrière cette victoire-là ?


Avant de te répondre à cette question... Laisse-moi un peu plus te donner les dimensions de l'épopée... D'abord, nous sommes en 1954... L'Allemagne est brisée en deux, le monde aussi, d'ailleurs. Et comme cela éclatera en fanfare à la fin du match, elle – du moins, cette demi-Allemagne, dite de l'Ouest, du moins, ceux de ses habitants qui ont suivi ce match – laisse percer un « Deutschland über alles »... « über alles in der Welt » du plus bel effet... Maintenant, je vais te donner le nom de la sainte qui est intervenue, pour – tels les dieux et les déesses antiques – soutenir ses héros et leur faire vaincre en ce duel aux dimensions mondiales. Il s'agit tout simplement de Sainte Pharmacie, qui leur délivra au moment du combat de saintes piqûres d'amphétamines. Les mêmes qui avaient servi à maintenir éveillés les pilotes de la Luftwaffe et les tankistes de la SS. Je te passe les autres combines qui ont permis cette étrange victoire...


Il y aurait donc eu du dopage et d'autres combines du côté de l'équipe allemande ???, dit Lucien l'âne interloqué...


Tout à fait. Et ce n'est pas une élucubration de journaliste en mal de copie... Ainsi, le jour-même, dès après le match, Puskas – le capitaine de l'équipe de Hongrie – dénonça cette tricherie en disant que les joueurs allemands avaient « la bave aux lèvres ». Et voilà maintenant qu'une récente étude allemande, du Comité Olympique allemand, sur le dopage dans les sports en Allemagne, indique qu'en effet, l'équipe qui gagna à Berne avait été dopée... Il paraît qu'on avait dit aux joueurs que ces « piqûres » contenaient de la vitamine C.... quand en réalité, comme je l'ai dit, elles contenaient de la « pervitine », une sorte d'amphétamine.


Et quelle autre perfidie, quelle autre traîtrise a-t-on encore commise ?, dit Lucien l'âne en baissant ses noires oreilles en signe de désapprobation.


Il n'est pas dans mes habitudes de rapporter des cancans, ni de mettre en doute la correction d'un arbitre, surtout quand il est anglais... mais, ce jour-là, l'arbitre annula purement et simplement le but d'égalisation des Hongrois à quelques instants de la fin du match... Ce qui l'aurait prolongé... Cela malgré les protestations de Puskas qui savait très bien ce qu'il en était de son but... et curieusement, tu le noteras, si l'on a conservé le film de tout le match – un des premiers retransmis à la télévision – on ne retrouve plus les bobines qui enregistrèrent cette phase de jeu... Que révélaient-elles ces bobines ? Autre fait étrange, j'en reviens aux amphétamines, toute l'équipe allemande a souffert d'une épidémie soudaine de jaunisse dans les jours qui suivirent ce match...


Mais si cela est vrai et ce doit l'être, il faudrait rendre aux Hongrois le trophée de ce combat... Il y a là comme une règle morale, une règle de décence qui devrait être sans réserve appliquée... Même dans le sport... Même dans le sport, ce monde est atteint de la folie des grandeurs, de cette maladie de l'avidité, de la volonté de domination... à n'importe quel prix. Vois-tu, je n'aime pas plus les tricheurs que les exploiteurs...


Enfin, je te rappelle, si la chose t'avait échappé, que la Hongrie – à l'époque – était un pays qu'on disait socialiste ou communiste... Elle ne pouvait pas gagner cette compétition au moment où s'étendait cette guerre froide... Donc cette entorse aux règles de la bienséance et de la décence, bref, cette gigantesque tricherie, cette kolossale tromperie arrangeait beaucoup de monde.


En somme, dit Lucien l'âne en raclant le sol de son sabot droit, c'est un épisode de cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour assurer dans les siècles des siècles leurs richesses, renforcer leur domination, développer leurs pouvoirs et étendre infiniment leurs profits... Eh bien, tu vois encore une fois, Marco Valdo M.I. mon ami, toutes les raisons qu'il y a de tisser le linceul de ce vieux monde tricheur, sournois, dopé et cacochyme


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Le Walter Elf, le Onze de Walter
Walter le Rote Jäger
Contre le Onze en Or,
Il y allait avoir du sport
Moi, je n'étais pas à Berne
J'espérais de ma chambre
Das Wunder von Bern
Il faut nous comprendre
À Munich, dans ma chambre
Soudain debout, j'ai chanté
Über alles in der Welt.
Quand le miracle est arrivé.
Über alles in der Welt.
Soudain debout, on a tous chanté

D'un côté, une équipe de brillants joueurs
Magyars dans l'âme et trente et une fois vainqueurs
Puskas, déjà blessé par les Allemands
Sur une jambe égalise au dernier moment
L'épopée éclate en fanfare
Un but enchanté comme un air tzigane du lac Balaton
L'arbitre anglais, oublions son nom !
Laissa blesser Puskas et annula le but hongrois
On ne trouve plus le film de ce but-là.

De l'autre côté, l'équipe d'un demi-État
Ce n'étaient pas des vitamines
Ces injections de pervitine
Ces piqûres dans les bras.
La jaunisse prolongea la victoire.
Une kolossale tricherie
Pour toujours, l'étoile est ternie
Ce trophée qu'ils ne méritent pas
Le rendront-ils un jour aux valeureux Hongrois ?

Moi, j'aurais bien voulu les associer
Fritz et Ferenc, ces deux-là
Les deux gloires des camps opposés
Cinéma et salchicha
Saucisse et blanc pétillant,
Loto et restaurant,
Mais ces deux têtus
N'en ont pas voulu.

D'un côté, Fritz Walter, exploitant d'un cinéma
Flanqué d'un bureau de loto
Dans la ville du Poisson Au Repos
La Cité impériale, le cœur du Palatinat
327 buts chez les Roten Teufel de Kaiserslautern,
Et son Fritz-Walter-Stadion, à présent à Kaiserslautern.

De l'autre, Ferenc Puskas, le major galopant
Extérieur gauche d'Hondved Budapest,
Sans boulot, après Bilbao
Marchand de saucisses à Madrid
Pancho, le pansu avait pris trente kilos
Un fiasco les Puskas salchichas,
Cañoncito Pum Pum, lo zurdo,
Et chez lui, bien plus tard, dans l'Est,
Son Stade Ferenc Puskás à Budapest

Le Walter Elf, le Onze de Walter
Walter le Rote Jäger
Contre le Onze en Or,
Il y allait avoir du sport
Moi, je n'étais pas à Berne
J'espérais de ma chambre
Das Wunder von Bern
Il faut nous comprendre
À Munich, dans ma chambre
Soudain debout, j'ai chanté
Über alles in der Welt.
Quand le miracle est arrivé.
Über alles in der Welt.
Soudain debout, on a tous chanté


1955 – L'Antiatomique

1955 – L'Antiatomique

Canzone française – L'Antiatomique – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 56

An de Grass 55

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



Mon père un fameux bricoleur
Construisait après ses heures
Un abri antiatomique



Mil neuf cent cinquante-cinq, souviens-toi Lucien l'âne mon ami... En cinquante-cinq, on était en pleine guerre froide, en plein milieu d'un affrontement des Titans... De froide, cette guerre risquait bien de passer à des températures solaires et d'irradier toute la planète de son réchauffement. On en était à gonfler les biceps militaires, à pousser les poitrails en avant, à défiler on ne peut plus militairement, à lever les mentons, à lancer des invectives... Le pire était que ceux qui se lançaient dans pareilles rodomontades n'étaient pas des gens de puissances mineures comme l'Italie ou la France, mais les deux pays les plus lourds du monde sur le plan militaire : les Zétazunis et l'URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques). Chacun de ceux-ci disposait d'un arsenal considérable et chacun d'eux détenait l'arme suprême, la bombe atomique. Et regarde, Lucien l'âne mon ami, cette année 1955, c'est l'année de l'entrée de l'Allemagne (la demie de l'Ouest) dans l'OTAN et de la création du Pacte de Varsovie, où se retrouvera l'autre, la Démocratique. C'est aussi l'année de la conférence de Bandoeng, où le Tiers-Monde essaye de prendre pied dans le monde... En grande part, cette partie-là du programme a échoué. C'est dans ce climat que le père de la narratrice décide, à l'instar des Suisses, de bâtir un abri atomique pour sa famille. Comme tu le verras, c'est toute une aventure. Personne ne l'aide, il va donc le construire tout seul, de ses mains... Malheureusement, il n'a rien d'un ingénieur et il finira sous les décombres de sa propre construction.


Que voilà bien une terrible histoire, dit Lucien l'âne en secouant sa crinière.


Mais, écoute bien la suite, Lucien l'âne mon ami. Je me demandais comment raconter cette histoire-là en chanson et il m'est venu une idée, un refrain en tête où il était question d'une bombe atomique. Parenthèse, cinquante-cinq, c'est l'année de la mort d'Albert Einstein... Et le refrain tournait, tournait comme une valse... Non, comme un java... Il sautait, il tressautait, il était très entraînant. Une Java des bombes atomiques... Et précisément, mon souvenir était exact, il en existe une de ces chansons qui porte ce titre « La Java des Bombes atomiques » [[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=664&lang=it]] et c'est une chanson de Boris Vian.


Eh bien, dit Lucien l'âne vivement intéressé. Tu n'en as quand même pas refait une...


Eh bien, si, précisément... J'ai repris celle de Boris Vian et je l'ai adaptée, j'en ai fait une parodie, tu sais bien que c'est ma manie, la parodie. Évidemment, l'oncle bricoleur de Vian est devenu le père de la jeune personne, qui narre l'aventure. Pour le reste, j'ai suivi le fil.


Ah mais, voilà une plaisante manière de raconter une histoire d'Allemagne. Günter Grass revisité par Boris Vian ou l'inverse. Et puis, voilà aussi, je suppose un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans...


Remarque bien qu'on en parle dans la chanson de cette foutue Guerre de Cent Mille ans que les riches et les puissants se font entre eux en se servant des pauvres comme de paravents... Peu importe finalement le « régime »... En géopolitique, les régimes, c'est comme en alimentation, il y en a pour tous les goûts, mais ce sont toujours des escroqueries, ce sont toujours des gens qui s'arrangent pour détenir le pouvoir et devenir riches en exploitant les pauvres, en les écrasant sous leurs armes, en les obligeant au travail... Voilà comment va le monde... Du moins, jusqu'à présent.


Eh oui, c'est bien pour cela que je t'invite à, comme moi et tout aussi obstinément, à tisser le linceul de ce vieux monde plein de militaires, de civils militaristes, d'enthousiastes atomiques et de surcroît, cacochyme.

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Mon père un fameux bricoleur
Construisait après ses heures
Un abri antiatomique
Il le faisait à sa façon
Il coulait le béton
Il empilait les briques
Dès qu'il rentrait de sa journée
Il courait à son chantier.
Et le soir quand il rentrait chez nous
Pendant le journal-télé
Il mangeait sa soupe aux choux
Gardait l'air renfrogné
Et nous racontait tout.

De nos jours, vous le savez bien
On n'est plus sûr de rien,
Avec tout ce qui se passe.
Avec toutes leurs armées,
Avec toutes leurs fusées
La guerre nous menace.
Ils ont maintenant une bombe H
Et si demain, ils la lâchent.
Voilà ce qui me tourmente
Je vous ai construit une maison
Mais c'est la protection
Qui est déficiente.
Y a quéqu'chos' qui cloch' là-d'dans
J'y retourne immédiat'ment

Quand il a signé pour la maison
Il déclara : nous allons
Croyez-moi mes enfants
C'est le plus important
C'est pas un mince boulot
Mais par sécurité, il faut
Hiroshima, Nagasaki
Nous construire un abri.
À l'administration, il présenta
Des plans, des schémas
D'un sous-sol pour six ou huit
Avec une porte étanche, un sas
Papa, c'est sûr, était un as.

Voyez comme va la vie,
À la maison des trois filles
Dans le jardin de notre maison,
Nous on faisait des plantations
Papa se réservait tout un coin
Dans le fond du jardin
Pour y faire un bunker.
Quand l'Allemagne tout entière.
Se retrouva au milieu du jeu
En cas de guerre atomique
On l'a pris au sérieux
Deux millions de morts, sans compter
Les blessés et ceux de la Démocratique
Finalement, Papa ne s'était pas trompé.

Croyant proches les coups d'éclats
Et la folie des chefs d'État
Sûr de soi et en homme décidé,
Papa tout seul entreprit de creuser
Après son travail et de ses mains
À la pelle, dans le fond du jardin
À plus de quatre mètres cinquante
Des fondations étonnantes
Qu'en un dimanche, il bétonna
L'autre dimanche, tous les murs, il édifia
Au troisième, il en était à placer la coupole
Un gros béton en forme de bol
Quand sur lui, tout s'effondra
Ainsi sous son abri finit papa.

Ce fut sa tombe en somme
Le pommier y posait ses pommes
On n'a pas achevé cette basilique
Puis, on a marché contre l'atomique
Contre les fusées, contre l'Otan
Contre les militaires, contre les guerres
Et tout ça, mon lapin...
Ça n'a servi à rien
Mon père un fameux bricoleur
Construisait après ses heures
Un abri antiatomique
Il le faisait à sa façon
Il coulait le béton

Il empilait les briques