mercredi 30 juillet 2014

1914 – Boue, bombe, bruit et brouillard

1914 – Boue, bombe, bruit et brouillard

Canzone française – Boue, bombe, bruit et brouillard – 1914 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 15


An de Grass : 14
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



Ah, Lucien l'âne mon ami, je suis content de te voir. Je m'inquiétais un peu de ton retard. Surtout qu'il y a du brouillard…

Ne t'en fais pas comme ça, Marco Valdo M.I. mon ami, nous les ânes, on avance à petits pas, mais on a de bons et grands yeux. Le brouillard, ni le sol humide ne nous font peur. Mais dis-moi, mon ami au grand cœur, qu'as-tu à me faire voir ce jourd'hui ?


Voir ou entendre... Ah, Lucien mon ami, j'étais tout spécialement anxieux de te voir venir, car la canzone du jour est vraiment peu ordinaire et je me réjouissais de te la faire connaître. Elle raconte une entrevue entre deux grands écrivains allemands qui doivent leur célébrité à leur roman sur la Grande Guerre, ainsi qu'on l'appelle dans les livres d'histoire et dans les journaux.


Cela me semble bien intéressant, mais écoutons la suite.


En fait, ce sont deux romans qui racontent les années folles de la guerre que lança Guillaume, tu sais bien : celui qui dessinait des bateaux. Celle de 1914-1918. Deux romans et romanciers allemands qui se situent aux extrémités du spectre pacifiste – militariste. L'un est résolument opposé à la guerre, c'est « À l'Ouest, rien de nouveau », l'auteur est Erich Maria Remarque. L’autre est plutôt franchement polémophile, il a tout du guerrier, c'est « Orages d'acier », l'auteur est Ernst Jünger.


Que voilà bien une confrontation des plus extraordinaires. Où et quand a-t-elle eu lieu ?


D'abord, un dernier mot à propos de la canzone et de son contenu. Pour nous de langue et de culture françaises, cette confrontation apporte une autre façon de voir le monde, un point de vue de l'autre côté.


Et alors, dit Lucien l'âne interloqué...


Alors, c'est surprenant, on a l'impression de voir dans un miroir. Dorgelès, Barbusse... racontaient une même histoire, mais vue du côté français. En gros, ce fut la même chose. Boue, bombe, bruit et brouillard. Maintenant pour répondre à ta question, la rencontre entre ces deux Allemands s'est déroulée 50 ans après le début des hostilités, soit un demi-siècle et en territoire neutre à Zürich. Cependant, ces deux vieux messieurs avaient conservé leur point de vue sur la chose. Pour Remarque, c'était purement et simplement une boucherie inutile dont on ne revenait pas; pour Jünger, c'était une épopée fascinante, une héroïque aventure qui l’exaltait encore.


En somme, dit Lucien l'âne, ce Jünger, il aimait ça...


En effet... Mais regarde, écoute ma canzone et tu comprendras...


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



La mort chevauche un cheval noir,
Son casque empêche de la voir




1914, tout le monde l'a encore en tête
Au Nouvel-An, on s'était tous congratulés... Quelle fête !
En août, On s'élança sus à l’ennemi sûrs de sa défaite !
1964, à Zürich, un fameux tête-à-tête
En août 1914, quand commença l'effroyable combat
Trop jeunes, ils n'y étaient pas encore ces deux-là.

Remarque (Erich Maria) était venu de Locarno
Jünger (Ernst) arrivait du Würtemberg
Le premier était infirmier, l'autre un héros
L'un était d'Osnabrück, l'autre d'Heidelberg
En août 1914, quand commença l'effroyable combat
Trop jeunes, ils n'y étaient pas encore ces deux-là.

Deux fossiles de la Grande Boucherie en colloque singulier
Dans la galerie de la rôtisserie remémorant le passé
Cinquante ans après, rencontre de deux écrivains-soldats
À l'hôtel des Cigognes (Zum Störchen) sur la Limatt, ils étaient là
En août 1914 , quand commença l'effroyable combat
Trop jeunes, ils n'y étaient pas encore ces deux-là.

Remarque parle le premier
De ces anciens jeunes enrégimentés
Poussés par leurs professeurs les ados de Saxe ou du Wurtemberg
Ne sont jamais revenus de Langemarck ou du Katseberg
En août 1914, quand commença l'effroyable combat
Trop jeunes, ils n'y étaient pas encore ces deux-là.

En vérité, un sur deux y sont restés
Les autres ont été pour toujours marqués.
« La mort chevauche un cheval noir,
Son casque empêche de la voir »
En août 1914, quand commença l'effroyable combat
Trop jeunes, ils n'y étaient pas encore ces deux-là.

Jünger enchaîne sur sa fascination militaire
Son goût pour l'action héroïque et la guerre.
Au refrain : « C'est la Flandre du mauvais sort,
En Flandre, chevauche la Mort. »
En août 1914, quand commença l'effroyable combat
Trop jeunes, ils n'y étaient pas encore ces deux-là.

À la fin de cette première conférence,
Les vieux messieurs avaient vidé deux bouteilles de rouge de France
« Deux ans et demi plus tard à Langemarck, au Katsberg, sur tout le front,
En creusant, on trouvait fusils, casques à pointe et ceinturons. »
En août 1914 , quand commença l'effroyable combat

Trop jeunes, ils n'y étaient pas encore ces deux-là.

1915 - Casques à pointe et casques d'acier

1915 - Casques à pointe et casques d'acier

Canzone française – Casques à pointe et casques d'acier – 1915 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 16


An de Grass : 15

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.




Je reviens cette fois, mon ami Lucien l'âne, avec la suite de ces canzones qui racontent des Histoires d'Allemagne et à cette extraordinaire rencontre entre ces deux grands écrivains allemands, aussi opposés qu'il est possible. Mais je vois que tu te souviens de l'épisode précédent où les deux anciens des tranchées de la Somme, de Verdun ou des Flandres faisaient entendre leurs nettes différences de conception. Ernst Jünger, dit les Orages, du titre de son roman « Les Orages d'Acier », comme le laisse penser un tel titre était un fervent polémophile, empli d'un grand enthousiasme guerrier. Erich Maria Remarque, dit À l'Ouest, du titre de son roman « À l'Ouest, rien de nouveau » prenait plus en compte la douleur des hommes et ne montrait aucun penchant pour les grands exploits héroïques, ni pour la vie d'homme des casernes. On les retrouve ici qui poursuivent leur conversation un peu polémique, quand même.


Jusque là, j'avais suivi et par ailleurs, je suis bien content de retrouver ces deux témoins directs de cet énorme carnage. Évidemment, nous ne pourrons rien y changer, mais en savoir un peu plus, en savoir surtout autrement que par des récits linéaires et circonstanciés, en savoir par la voie poétique de la canzone, est une réelle découverte. Il y a là une manière d'aborder les choses qu'on ne trouve pas habituellement. De quoi parlent-ils cette fois et quelle est donc cette demoiselle qui tout d'un coup surgit dans cette canzone ?


Je commencerai par répondre à propos de cette mystérieuse demoiselle, dont je ne connais d’ailleurs pas le nom, mais la seule chose dont je peux t'assurer, c'est que c'est la journaliste suisse qui les a invités à cette rencontre. En somme, c'est leur hôte et l'ordonnatrice de leurs débats. C'est ce qui explique sa présence, son intervention, et aussi bien sûr, sa réplique aux « Orages »; enfin, dis-toi bien que c'est elle qui relate cette entrevue. C'est donc un personnage essentiel. Pour le reste, cette fois, la conversation va tourner autour de la question des casques utilisés pendant cette guerre, affaire toujours vue du côté allemand, il ne faut jamais l'oublier. Au commencement était le casque à pointe, dont il te souviendra que Guillaume le portait volontiers et qu'il faisait grosse impression sur les publics des cérémonies militaires; il en avait même fait un argument diplomatique lors de son passage à Tanger, par exemple. La pointe avait plusieurs usages et sans doute pas celui de foncer tête baissée pour embrocher l'adversaire, mais bien celui d'impressionner en rehaussant la taille de celui qui le portait.


Je ne voudrais pas t’interrompre, mais je te propose de prendre connaissance de ce qu'en disait – dès 1835, Heinrich Heine, dans son « Allemagne - Conte en hiver »... Il disait :

« Je fus assez content du nouveau costume de cavalerie ; je dois en faire l’éloge : j’admire surtout l’armet à pique, le casque avec sa pointe d’acier sur le sommet. Voilà qui est chevaleresque, voilà qui sent le romantisme du bon vieux temps, la châtelaine Jeanne de Montfaucon, les barons de Fouqué, Uhland et Tieck. Cela rappelle si bien le Moyen Âge avec ses écuyers et ses pages, qui portaient la fidélité dans le cœur et un écu sur le bas du dos ; cela rappelle les croisades, les tournois, les cours d’amour et le féal servage, et cette époque des croyants sans presse, où les journaux ne paraissaient pas encore.
Oui, oui, le casque me plaît ! Il témoigne de l’esprit élevé de S. M. le spirituel roi de Prusse. C’est véritablement une saillie royale ; elle ne manque pas de pointe, grâce à la pique. Seulement je crains, messires, quand l’orage s’élèvera, que cette pointe n’attire sur votre tête romantique les foudres plébéiennes les plus modernes. »... Et en effet, les foudres tombèrent dru et le pauvre armet n'y put rien. On le démobilisa, comme c'était devenu inévitable.


À la fin, on en était au casque d'acier, qui était plus discret et sans doute, un brin plus efficace pour protéger la tête du porteur. Mais, encore une fois, ces considérations apparemment ineptes ont un autre sens et permettent de décrire à nouveau certaines réalités atroces de cette guerre, dans une manière qui se rapproche de celle du fameux « dormeur du val », que Rimbaud avait croqué lors de la guerre précédente.
« Pour les jeunes gens, dit À l'Ouest, le M 16, le M 17 étaient trop grands
Ils glissaient sur leurs visages d'enfants
Et au-dessus de leurs mentons tremblants
On ne voyait plus que leurs bouches crispées d'effroi »


Dis-moi, M 16, M 17... De quoi s'agit-il ?


Oh, Lucien mon ami, tu sais combien les militaires ont le goût des matricules. Ce sont des sigles qui désignent en fait le casque d'acier M(odèle 19)16 et bien évidemment, M(odèle 19)17... Sans doute, a-t-on amélioré la chose ultérieurement... Encore que je n'en suis pas trop sûr, à voir la tronche des soldats du Reich lors des confrontations suivantes. Cela dit, cette histoire de casques d'acier, on va la retrouver dès après la guerre et avec une résonance terrible, puisque ce sont des « casques d'acier » qui seront à la base des milices hitlériennes... Comme quoi, il y a une certaine cohérence dans le fil de l’histoire et des histoires d'Allemagne.



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




La deuxième rencontre se fit au bord du lac, à l'Odéon,
Un endroit qui, si l'on en croit certaine tradition,
Vit passer à ses tables des gens dont on parle encore ici et là
Joyce, Lénine, Einstein, Brecht, Mann, Krauss, Kafka
Sur la table, le champagne pétille entre les croissants et les fromages
À l'Ouest fait un clin d’œil aux Orages
Et dit : en 33, ils m'ont brûlé en place publique
Vous, ils vous ont gardé; vous leur étiez sympathique.
Ces messieurs revenus des tranchées
Des coups de main, des offensives si souvent avortées
Sur la Somme, sur la Marne, sur la Meuse
Et des moissons de la grande faucheuse
Évoquent le casque à pointe, de cuir ou de feutre pressé,
Décoratif, certes, impressionnant, sans doute, mais meurtrier –
Un coup de fusil, une balle, un éclat d'obus
Le traversait et faisait un tué de plus.
Alors, dit les Orages, on passa, le temps de l'inventer,
Au casque d'acier, antirouille, lourd et blindé jusqu'au nez.
Le casque suisse, insiste-t-il, aussi s'en inspire.
Par bonheur suisse, dit la demoiselle, il n'a pas dû tester le pire.
Pour les jeunes gens, dit À l'Ouest, le M 16, le M 17 étaient trop grands
Ils glissaient sur leurs visages d'enfants
Et au-dessus de leurs mentons tremblants
On ne voyait plus que leurs bouches crispées d'effroi.
De toute façon, les éclats d'obus crevaient leurs parois
Et même, croyez-moi, les balles de mitrailleuses.
La mort, voyez-vous, est une personne sérieuse.
Pour conclure, ces deux messieurs à la bonne fortune

Ces deux messieurs reprirent encore une prune.

vendredi 18 juillet 2014

1916 - À la prochaine !

1916 - À la prochaine !

Canzone française – À la prochaine ! – 1916 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 15


An de Grass : 16

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.


Que pouvaient-ils encore faire, ces damnés ?
Jouer aux cartes, boire, bouffer, jurer
Rêvasser de femmes aux cuisses écartées
Et lucides, espérer finir l'année.



Comme tu le vois, mon ami Lucien l'âne, les Histoires d'Allemagne continuent et également cette extraordinaire rencontre entre À l'Ouest et les Orages, laquelle a lieu en terrain neutre, sur les bords du lac de Zurich, plus au cœur de la ville toutefois, à la Kronenhalle. Ces messieurs, comme dit la dame, ne s'ennuient pas. Tu auras remarqué que leurs « séances de travail » se passent toujours autour d'une (bonne) table et sont généralement, bien arrosées. Cette fois, du rouge léger, sans doute, un vin de Loire. Autres temps, autres ambiances. Mais la canzone ne parle pas de cet aspect des choses, elle retourne à l'année 1916, au plus fort de la tourmente et s'enfonce soudain dans les tranchées lesquelles étaient des lieux assez dantesques.


C'est assez lourd, j'imagine, dit Lucien l'âne... Mon souvenir de ce genre d'endroit est assez effrayant. Je t’apporterai la prochaine fois une photo que j'ai ramenée de là-bas. On m'y voit avec le masque... C'était terrible !


Et ce l'était, en effet et bien pire. On se massacrait, comme pour dire, industriellement. Au fur et à mesure du déroulement de l'absurde confrontation, les outils se perfectionnaient et l'équipement se modernisait. Tu as vu ce qu'il en était du casque... Ce fut pareil pour les fusils, les canons... De surcroît, on faisait appel à de plus en plus d'hommes pour occuper le terrain, pour remplir les trous des champs de bataille et il y en avait un peu partout en Europe, sans compter ceux plus réduits d'Afrique ou d'Asie. La mort était devenue la première industrie européenne et les investissements y étaient considérables. Telle était la réalité, laquelle n'avait que peu à voir avec les rêves d'héroïsme de certains, comme Les Orages. C'était une guerre prolétaire. C'est cela que raconte la canzone. Les hommes – du moins ceux qui arrivaient à survivre, à ne pas être trop vite éliminés ni trop mutilés, passaient des mois et des mois, des saisons, des années entières dans les tranchées.


Ce devait être bien long et terriblement ennuyeux... On se tuait quand même vingt-quatre heures sur vingt-quatre, partout en même temps. Si j'ose dire, il il y avait parfois des temps morts. Que faisaient ces hommes-là pendant ces temps-là ?


Ce que j'en sais... On s'ennuyait ferme sur le front... Alors, on trouvait des passe-temps entre deux massacres. On écrivait chez soi, à sa femme, à ses enfants, à ses parents, à ses amis, à sa fiancée... Que sais-je ? On dessinait, on peignait, quand on le pouvait. Pour le reste : « Que pouvaient-ils encore faire, ces damnés ? Jouer aux cartes, boire, bouffer, jurer. Rêvasser de femmes aux cuisses écartées... ». Tiens, un de mes grands-pères, qui fut gazé, lui y jouait aux échecs. Un jeu tranquille les échecs, on peut facilement y jouer dans une tranchée, sous la pluie ou couché dans la boue. Il participa à des tournois, des championnats... Il rencontra ma grand-mère à l'hôpital... D'une certaine manière, il s'en était bien tiré. Un peu comme ces messieurs...


Mais les autres, tous ces autres-là qui finirent en charpie, ces centaines de milliers, ces millions n'eurent pas cette chance... Et puis, ta canzone finit sur un trait d'une ironie noire...


En effet, Lucien l'âne mon ami, elle finit sur une histoire dans l'histoire. C'est d'ailleurs ce dernier vers (si j'ose...) qui lui donne son titre et son refrain à ma canzone. « À la prochaine ! »... Il sonne comme une prophétie... et comme un appel à ne jamais oublier qu'on n'est pas à l'abri d'une pareille répétition.


Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, ne dis pas ça, je suis un âne un peu superstitieux. D’ailleurs, je croise les oreilles... en guise de conjuration. Cela dit, je te rappelle également que notre manière à nous de conjurer la répétition d'un épisode semblable de la Guerre de Cent Mille Ans, que les riches font aux pauvres afin de maintenir leur pouvoir, de conserver leurs privilèges, d'assurer leur domination et d'accroître leurs richesses, c'est de tisser le linceul de ce vieux monde massacreur, militariste et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Guerre de positions sur l'Yser et la Somme à l'Ouest
Guerre de forts et de tranchées à l'Est
Feux roulants d'artilleries formidables
Bombardements interminables,
Barrages de feu devant les infanteries
Écrasement des troupes ennemies ou amies
Les fantassins marinaient dans la boue
Enfer sur terre, les hommes mouraient dans la gadoue
L'intrépide héros des Orages d'acier
Parle d'élan chevaleresque, de moral guerrier
D'audace, de témérité, de pureté
Allons donc, Jünger, vous délirez !

Dernière conversation de tranchée à tranchée
Le 11 novembre 1918, terrible année :
« Salut les gars !, qu'ils diront. Et à la prochaine... »
« Oui, c'est ça..., qu'ils diront. À la prochaine ! »

Vous avez raison, dit Remarque, plus personne n'avait peur
L'angoisse, satanée liqueur, coulait dans les cœurs comme une longue sueur
En regardant passer les étés, les hivers
Terrés dans les tranchées comme des statues de pierre
Jeunes et vieux en tête à tête
Survivaient comme des bêtes
Que pouvaient-ils encore faire, ces damnés ?
Jouer aux cartes, boire, bouffer, jurer
Rêvasser de femmes aux cuisses écartées
Et lucides, espérer finir l'année.
Entretemps, ils rampaient, ils assassinaient
Puis, épuisés, hâves, blêmes, ils crevaient.

Dernière conversation de tranchée à tranchée
Le 11 novembre 1918, terrible année :
« Salut les gars !, qu'ils diront. Et à la prochaine... »
« Oui, c'est ça..., qu'ils diront. À la prochaine ! »

Que savaient-ils encore faire ?
À part la guerre ?
Pelle-bêche ou baïonnette ? Comparaison
La pelle fend l'homme sans forcer
La baïonnette se coince, il faut l'arracher.
Comparaison n'est pas raison...
Les tranchées, première, deuxième, troisième ligne
Où soucieux de discipline, les cadavres s'alignent
Parapets, parados, traverses et passages
Abris enterrés, galeries à étages
Tranchées et abris, effondrés, noyés
Et par dessus, les barbelés, les barbelés, les barbelés

Dernière conversation de tranchée à tranchée
Le 11 novembre 1918, terrible année :
« Salut les gars !, qu'ils diront. Et à la prochaine... »
« Oui, c'est ça..., qu'ils diront. À la prochaine ! »

1917 - Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !

1917 - Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !


Canzone française – Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz ! – 1917 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 18


An de Grass : 17
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !



Une année charnière que cette année 1917... Comme tu le sais ou tu devrais le savoir, mon ami Lucien l'âne, ce fut cette année-là que la révolution des Soviets triompha en Russie. Ce fut un événement considérable et qu'on n'est pas près d'oublier, tant il a suscité d'espoirs, tant il ouvrait de perspectives positives aux peuples du monde entier. Que cette révolution fut par la suite trahie par une bande d'arrivistes incompétents est une autre histoire et qu'à cause de ces apparatchiks, les peuples n'ont pas réussi cette fois-là à construire un monde à la fois, libre et collectivement organisé, n'empêche pas qu'ainsi est né l'espoir et qu'il viendra sans (aucun) doute le temps où un tel monde s'imposera; il y va de la survie de l’espèce. Cela dit, les Histoires d'Allemagne continuent et également cette extraordinaire rencontre entre À l'Ouest et les Orages.


Et comment que je sais que cette année 1917 fut l'année où la révolution des Soviets, qu'on appelle par ici des Conseils ouvriers – il y en aura d'ailleurs un peu partout, des Conseils et des révolutions jusqu’à Vienne, à Berlin, à Turin... – écrivit un épisode plein d'espoir de la Guerre de Cent Mille Ans où les riches, qui mènent impitoyablement cette guerre contre les pauvres afin d'étendre leurs pouvoirs, de multiplier leurs richesses, d'accroître leur domination, de satisfaire leurs avidités, durent reculer, lâcher prise. Il y avait là comme une aurore nouvelle, comme un vent de libération qui se levait sur le monde, qui soulevait mille enthousiasmes dans les cœurs...


Donc en 1917, commençaient les grands bouleversements, qui dans nos histoires d'Allemagne vont amener la République de Weimar. Là, on est encore dans les transes préliminaires à la « paix », mais quelle paix ? C'est ici aussi que ces Histoires d'Allemagne commencent à s'accoupler à la réalité d’aujourd’hui... Je m’explique : comme on le voit, ce sont des histoires de soubresauts... Un peu comme maintenant dans cette révolution méditerranéenne... En 1917, des révolutions éclatent un peu partout, ou vont le faire très rapidement et qu'en sera-t-il après ? Cet effet de gestation, on le verra à l’œuvre... Si tu veux bien, je fais le point de la trajectoire depuis plus d'un siècle, on est passé de la Prusse, à l’Allemagne, de l'Allemagne à la Grande Allemagne (deux tentatives manquées – sans doute un problème de méthodes) et on voit l'actuelle tentative de faire aboutir ce dessein de Guillaume dans la grande Europe encore en gestation elle aussi.


C'est inquiétant, dit Lucien l'âne, cette prise en main progressive de l'Europe par l'Allemagne... Cette grande Europe... Il faudrait faire attention... Mais revenons à la canzone. Que raconte-t-elle précisément ?


Comme son titre l'indique, c'est l'histoire des gaz comme instruments de combat. Elle montre l'usage qui en a été fait pour une des premières fois à cette échelle dans les tranchées de l'Yser et de la Somme. Mon propre grand-père, comme je te l'ai dit, a été gazé à l'ypérite et il s'en est plus ou moins bien tiré avec des poumons en compote et un pancréas quasiment hors service, un diabète très invalidant... pour le reste de sa vie. Des milliers et des milliers d’autres s'en sortiront encore moins bien ou pas du tout. Une saloperie les gaz. Cela dit pour la composition de la canzone et ces hurlements « Alerte au gaz », elle tend à refléter l'effet de panique que l'arrivée du gaz avait sur ceux qui en savaient les effets. C'est Erich-Maria Remarque, dit À l'Ouest, qui, un demi-siècle après, réagit encore avec virulence dans un restaurant chic de Zurich (Zürich, Zuri, Zurigo) en criant :

Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !

C'est une mort atroce qui attend les gazés... Et ceux qui ont survécu en garderont l'indélébile souvenir dans leur corps et dans leur mémoire. Le pire, vois-tu Lucien l'âne mon ami, c'est que la leçon n'a pas été retenue ou qu'elle a été trop bien apprise – ça dépend où on se place... On continue (version soft) avec les gaz lacrymogènes (dans nos pays, dans nos villes) et on poursuit à coup de nuages létaux... dans les pays où l'on fait la guerre ouverte (ce fut le cas au Vietnam, en Irak, en Afghanistan, en Syrie, par exemple). Avec d'intenses perfectionnements : on tue plus, plus vite et plus longtemps avec les gaz à l'uranium enrichi...


Décidément, dit Lucien l'âne, en voilà de bien vilaines façons. Comment peut-on d'ailleurs parler sérieusement de loi de la guerre – la seule loi de la guerre étant de tuer l'adversaire... On est bien dans une guerre sans merci et sans véritable loi ; la seule loi de la paix, c'est qu'il n'y ait pas de guerre du tout, ni ouverte, ni rampante. Et la seule façon de se débarrasser de la guerre (de Cent Mille Ans), c'est de mettre fin à ce monde, de tisser obstinément, envers et contre tout, le linceul de ce vieux monde menteur, lâche, assassin et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !

À l'Ouest, debout gueulait comme en enfer
Orages sonnait l'alarme en faisant tinter les verres
Les tranchées allemandes eurent droit au phosgène des Anglais
Les gazés pleuraient, râlaient, vomissaient
Même si on enduit de graisse les fusils
C'est en crachant les poumons brûlés qu'on finit
Ces visages pâles comme des navets
Ces uniformes trop grands pour la paix.
Ces jeunes types, têtes bleues, lèvres noires
Engendraient les plus grands désespoirs

Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !

Ces pauvres types, en première ligne dans leur abri enterré,
Avaient des allures de cadavres désemparés
Ils avaient le visage inexpressif d'enfants morts
Nous, à Ypres, on lança le gaz moutarde sans remords
Nappes de gaz inodores, à peine discernables
Sulfure d'éthyle en très fines gouttelettes, imparable.
Avec lui, le masque ne servait plus à rien
C'est lui qui envoya jusqu'à la fin de la guerre
À l'hôpital, un certain caporal aryen
Qui, vingt ans après, remit le feu à toute la terre

Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !
Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !

samedi 12 juillet 2014

1918 - La Der des Der

1918 - La Der des Der


Canzone française – La Der des Der – 1918 – Marco Valdo M.I. – 2011

Histoires d'Allemagne 19


An de Grass : 18

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.





J'en ai tant vu, tant entendu, ça m'a vacciné
Encore aujourd’hui, j'en suis dégoûté.
Laisse ton casque et ton fusil au vestiaire
C'est la fin de la der des der.












Ah !, Lucien l'âne mon ami, dit Marco Valdo M.I. , cette chanson raconte à sa manière la fin de la der des der. La « der des der » est, tu le sais certainement, une expression française – littéralement : « la dernière des dernières [Guerres] », un peu naïve, qui est apparue à la fin de la guerre 14-18 et qui signifiait l'espoir des poilus (les soldats des tranchées étaient ainsi nommés – sans doute ne se rasait-on pas trop souvent dans ces endroits), que l'humanité, eux-mêmes, leurs enfants et les enfants de leurs enfants ne connaîtraient plus jamais ça. La réalité, tu le sais aussi, les a bien vite détrompés. Une immense grande illusion collectivement partagée. Y avait-il les mêmes espoirs dans l’autre camp ? La chose est sans doute vraie pour une bonne part des gens du peuple, pour ceux qui vont entamer ces révoltes un peu partout et dont, tu verras, au fur et à mesure qu'on va avancer dans le siècle, qu'on va tout faire pour les éliminer.


« La der des der », je l'ai entendue bien des fois cette expression et j'ai toujours pensé comme tu le dis que c'était une grande illusion. Cette der des der-là, tu as bien raison, n'est pas la dernière et ne pouvait pas l'être. Je vais te dire pourquoi... Ce n'était là qu'un épisode de cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font entre eux et contre les pauvres, afin de conforter leur pouvoir, d'augmenter leurs richesses, de multiplier leurs privilèges, tout en se servant des pauvres (civils ou militaires) comme d'un immense troupeau de chair à canons.


Si, ce que tu dis, Lucien l'âne mon ami, est exact et qu'en somme, ce n'était-là qu'un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans, ce que l'avenir a démontré mille fois depuis... Alors, la vraie et l'unique « der des der » possible est celle qui mettra fin à la Guerre de Cent Mille Ans en faisant disparaître les riches et la richesse de l'horizon humain. Et corollaire, ces révoltes qui surgirent un peu partout étaient sans doute la réaction saine de l'organisme humanité et si elles avaient pu aller leur chemin sans entraves, on connaîtrait sans doute autre chose que ce monde guerrier, corrompu, servile et suffoquant... Mais ce n'est forcément que partie remise...


Ah !, dit Lucien l'âne quand même assez préoccupé, je l'espère. Mais au train où vont les choses, c'est pas demain la veille... Cependant que tout ceci ne nous fasse pas oublier notre grand œuvre qui est, je te le rappelle, est de tisser le linceul de ce vieux monde décati, malade de la richesse et cacochyme.




Heureusement !




Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




J'en ai tant vu, tant entendu, ça m'a vacciné
Encore aujourd’hui, j'en suis dégoûté.
Laisse ton casque et ton fusil au vestiaire
C'est la fin de la der des der.

Sur notre front à la fin de la guerre
Sont arrivés en masse les chars anglais
On s'en défendait comme on pouvait, dit Jünger
Au lance-flammes et par des grenades en bouquet
Ces monstres en étaient à leurs balbutiements
L'époque des blindés - En avant
Charge héroïque à travers les steppes et les déserts
Était encore à venir – Blitzkrieg et guerre éclair.

J'en ai tant vu, tant entendu, ça m'a vacciné
Encore aujourd’hui, j'en suis dégoûté.
Laisse ton casque et ton fusil au vestiaire
C'est la fin de la der des der.

Pour la guerre fraîche et joyeuse, il restait le ciel
Les chevaliers de l'air « Implacables, mais fous »
Faisaient des sarabandes au dessus de nous
Ils tournaient, tournaient en un carrousel démentiel
Dans les tranchées, on pariait
Cinq cigarettes, une ration de pâté militaire
L'héroïsme aérien fondait au soleil d'hiver
Dans la boue où tous finissaient

J'en ai tant vu, tant entendu, ça m'a vacciné
Encore aujourd’hui, j'en suis dégoûté.
Laisse ton casque et ton fusil au vestiaire
C'est la fin de la der des der.

Tout n'était que terre et cratères
Boucherie, carnage et statues de pierre.
Pourtant, dit Orages d’acier, ça valait la peine
Moi, mes quatorze blessures et ma croix de guerre.
Nous n'avons pas été vaincus dans la plaine
C'est la révolte qui a balayé les arrières
Moi, dit À l'Ouest, une blessure m'a collé au lit
Pour la suite, je fus infirmier au milieu des débris

J'en ai tant vu, tant entendu, ça m'a vacciné
Encore aujourd’hui, j'en suis dégoûté.
Laisse ton casque et ton fusil au vestiaire
C'est la fin de la der des der.
C'est la fin de cette der des der-là
Il y en aura bien d'autres encore
Il y aura encore bien des morts
L'avenir le démontrera.

Laisse ton casque et ton fusil au vestiaire
C'est la fin de la der des der.

Laisse ton casque et ton fusil au vestiaire
C'est la fin de la der des der.

Laisse ton casque et ton fusil au vestiaire
C'est la fin de la der des der.