mercredi 9 juillet 2014

1923 - Les Beaux Billets

1923 - Les Beaux Billets


Canzone française – Les Beaux billets – 1923 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 24



An de Grass : 23
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.


100.000.000.000.000 de marks ou quelque chose comme ça...



Que peut donc bien raconter ton histoire d'Allemagne pour l'année 1923 et comment l'as-tu intitulée ?, demande Lucien l'âne un peu impatient de connaître la suite de la grande aventure germanique, distillée en petits épisodes didactiques par Marco Valdo M.I.


Commençons par le titre, car il est tout simple et donne une idée de ce que raconte la chanson du jour. Elle s'intitule : « Les Beaux Billets » et elle commence par une partie de Monopoly, jouée par des enfants de notre temps, je veux dire des années 2000 et au-delà. Je te rappelle que ce jeu a été créé par un chômeur étazunien en 1934 et qu'il a connu de nombreuses versions. Par parenthèse, pour la France, il aurait dû y avoir une version où l'endroit le plus prisé, la case la plus recherchée devait être le joli village de Montcuq, qui bien évidemment doit se prononcer à la manière de Zazie : « Mon cul ! », ce qui explique son succès auprès d'un public très étendu... Mais les éditeurs, des « proutmachères » un peu coincés ont refusé cette version, réclamée au terme d'un référendum par le public des passionnés.


Ils devraient aussi prévoir une case à Poil, où devrait se trouver le monument à l'inventeur de la démocratie, le très célèbrement méconnu Hégésippe Simon et une autre à Condom, charmante commune sur la Baise (Je te jure que je n'invente pas...). Cela dit, on n'est pas là pour parler de Montcuq, dit Lucien l'âne, mais de la chanson « Les Beaux Billets ».


Alors, dit Marco Valdo M.I., pour en revenir à la chanson, dans cette partie de monopoly, jouée par les enfants, des Allemands de maintenant, on utilise des billets anciens, retrouvés dans les greniers ou dans les affaires des grands-parents ou des parents. Il y a des billets de diverses époques du siècle dernier et spécialement ceux de 1923. 1923, vois-tu Lucien l'âne, en Allemagne, c'est l'année de l'hyper-inflation. Une année terrible ! Elle va provoquer des bouleversements formidables, permettre des fortunes aussi soudaines qu'hasardeuses, des ruines et des misères effroyables. Pour avoir une idée de cette inflation, regarde l'évolution du prix du pain en marks : 1921 : 3,9; 1922 (fin) : 163; 1923 – en janvier : 250, en mars : 463; en juin : 1428; en septembre : 1.512.000 et en décembre : 399.000.000.000. Trois cent nonante-neuf milliards de marks pour un pain...


C'est impressionnant, dit Lucien l'âne, mais comment cela se passe-t-il ?


Tout simplement comme tu le vois, les prix montent à une vitesse insensée, d'une semaine à l'autre, d'un jour à l'autre. C'est évidemment une situation qui met à mal ceux qui ont des revenus fixes ou à périodicité régulière – au mois par exemple... et spécialement, ceux qui sont payés en argent, en monnaie... Le salaire peut même augmenter chaque mois... Quel sens cela peut-il encore avoir, si les prix augmentent tous les jours; les intérêts sur les prêts également et qu'ils arrivent à des niveaux astronomiques... On parle de 4 à 5000 % par an. On veut bien avoir des dettes en marks, mais on s'empresse de garder les choses réelles … Et pour les détails, je te renvoie à la chanson... En tous cas, c'est une année qui a marqué les Allemands et qui pèse peut-être encore sur leur façon de voir les choses. Les beaux billets... Forcément : ils sont remplis de zéros et on a dû les faire de plus en plus grands... Par la suite, il y aura d'autres billets et notamment ceux de la République Démocratique Allemande – ce sont ceux avec le compas et les épis et puis, les deutschemarks de la République Fédérale, puis ceux de l'Allemagne réunie, puis enfin, il y a eu l'euro... Ce sont chaque fois des billets différents, des dessins différents, des couleurs différentes. Tout cela attise la curiosité des enfants.


Évidemment, dit Lucien l'âne. Cette profusion de billets si différents des uns des autres... C'est une sorte de condensé de l’histoire...


C'est bien cela qui se passe. Les enfants demandent le pourquoi du comment de toutes ces sortes de billets. Ils veulent savoir et dès lors, il faut bien leur répondre. Ce que je ne ferai pas ici. Mais une chose cependant : les billets racontent plus que l'histoire des billets eux-mêmes; ils racontent l'histoire de l'Histoire; ils racontent l'histoire des Allemagnes. J'attire ton attention sur les derniers vers; ils disent ceci : « À Chemnitz-Karl-Marx-Stadt, Oncle Eddy et ma mère n'ont pas connu le deutsche mark ni l'euro... ni cette misère qu'on subit maintenant... Ils sont partis à temps.... ». En fait, ces vers parlent du destin des gens de l'Allemagne de l'Est réannexée à celle de l'Ouest et de la misère que rencontrent de ce fait aujourd’hui les habitants de cette partie, située de l’autre côté du mur... Le Mur est tombé, en effet, mais que d'un seul côté... En somme, on a fait tomber (et encore …) la bureaucratie, mais on n'a pas fait tomber l'exploitation des hommes... Bien au contraire, on a développé leur misère.


C'est en effet, dit Lucien l'âne en opinant des oreilles, ce que tu racontais dans ta chanson « L'Autre Côté du Mur ». Il y a là un aspect de la guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour augmenter leurs richesses, accroître leurs propriétés, multiplier leurs privilèges, étendre leurs pouvoirs et renforcer leur domination. C'est pour faire tomber ce côté-ci du mur – qui semble-t-il commence à vaciller sur ses bases – que nous devons obstinément tisser le linceul de ce vieux monde monétaire, financier, économique et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Ces billets-là, ah, ces anciens billets, aujourd'hui
Sont la joie des petits quand ils jouent au monopoly
Il y a les billets qui venaient d'ici et ceux qui venaient de là
Les démocratiques qu'ornaient des épis et des compas,
Les fédéraux d'après la guerre et ceux d'avant l'euro
Ceux de la grande inflation tout emplis de zéros
Billets trouvés entre les pages du cahier de ma mère
Où figure le prix de mon tablier d'écolière.
De beaux billets d'après le grand carnage
De beaux billets d'avant les grands orages

Ah, les beaux billets !
Tout farcis de numéros
Ah, les beaux billets !
Pour payer les anciens héros !

Pour un pain, il en fallait des marks et des marks
Et les marks soudain ne valaient plus un mark.
Les prix les plus bas atteignaient des hauteurs sidérales
On comptait en milliards. La vie quotidienne devenait infernale
On vivotait : un jour les haricots, un jour les lentilles.
Ma mère disait : On ne sait jamais ce que réserve la vie
Oncle Eddy revenu d'Amérique et ses dollars-or
Légumes secs et corned beef, de vrais trésors !
Prenaient de la valeur chaque matin grâce à l'inflation
Huile de foie de morue, lait, chocolat valaient des millions

Ah, les beaux billets !
Tout farcis de numéros
Ah, les beaux billets !
Pour payer les haricots !

Les gens de l'assistance, les ouvriers, les fonctionnaires, les employés
Survivaient bien plus mal que nous dans ce merdier
Partout des mendiants, partout des invalides de guerre
Heinz, au rez de chaussée, qui avait hérité de terres
Comme propriétaire, il s'en tirait plutôt bien, c'est sûr,
Il vivait de fermages, il vivait de loyers en nature
À Chemnitz-Karl-Marx-Stadt, Oncle Eddy et ma mère,
N'ont pas connu le deutsche mark ni l'euro... ni cette misère
Qu'on subit maintenant...
Ils sont partis à temps.

Ah, les beaux billets !
Tout farcis de numéros
Ah, les beaux billets !

Pour nourrir les asticots !

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