mercredi 17 septembre 2014

1902 - Canotiers et Casques à Pointe

1902 - Canotiers et Casques à Pointe


Canzone française – Canotiers et Casques à Pointe – 1902 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 3

An de Grass : 2


Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également)et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.






Il y a deux ans, c'était durant l'été à Pékin qu'eut lieu la Guerre des Boxeurs qui engendra de grands massacres. L'armée, réduite en cela à un corps expéditionnaire se distingua par son implacabilité et en profita pour essayer les effets – grandeur nature – du canon à tir rapide de 55 mm de Krupp (Essen). Le siècle démarrait dans un bain de sang chinois. Mais comme tu vas le voir, mon ami Lucien l'âne et comme tu le sais peut-être déjà, ou comme tu le subodores ou le supposes ou l'imagines, l'Empereur d'Allemagne, qui s'appelait – te l'ai-je dit – Wilhelm Deux, plus communément en français – Guillaume Deux, avait un tempérament très pacifique et avait bien intégré ses leçons de latin : Si vis pacem, para bellum – Si tu veux la paix, prépare la guerre.


J'ai déjà souvent entendu cette sentence, elle n'a jamais rien présagé de bon. Tous ceux qui s'en réclamaient finissaient tôt ou tard par accomplir la guerre qu'en bons pacifistes, ils préparaient méticuleusement.


Disons pour parler militaire : préparer la guerre « dans l'ordre et la discipline ». C'est exactement ce que fit Guillaume Deux en cette année 1902. Il passa des aventures lointaines et meurtrières à la préparation d'aventures à venir devant sa porte. Pour cela, il avait besoin de beaucoup de monde, comme il se révélera quelques temps plus tard. Il s'agissait de préparer le peuple allemand – un peuple récent en ces temps-là, qui sortait à peine des mains du chancelier créateur Bismarck – Otto Eduard Leopold von Bismarck-Schönhausen, Premier Chancelier d'Allemagne – Premier Chancelier Impérial. Il s'agissait aussi de le former, c'est-à-dire de lui donner forme et consistance, puis de le durcir. Mais, comme je te l'ai dit, les mouvements de l'histoire sont assez lents et ce n'est que douze ans plus tard que l'Empereur ordonna donc la mobilisation générale. On en était encore au début de la mise au pas de ce nouveau peuple, de cette nouvelle nation, née après la guerre de 1870. On passait ainsi de la Prusse à l'Allemagne. Autre élément qui indique qu'il s'agit bien des débuts de l'Empire, c'est cette histoire de timbre-poste à l'effigie de Germania, dotée d'attributs propres à susciter d'héroïques passions.


C'est effectivement un tournant dans l'histoire de l'Europe et sans doute, un des événements majeurs de cette histoire. Mais en quoi cela intéresse-t-il les Chansons contre la Guerre ?


Il y a une foule de bonnes raisons à avancer à ce sujet, mais l'essentiel de cette canzone est de montrer l'inconscience de ces jeunes gens qui glissaient ainsi vers la guerre et une des plus grandes boucheries de tous les temps comme s'il s'agissait de changer de chapeau et comme ils disent dans la canzone : « On troqua nos canotiers bouton d'or contre des casques à pointe ». Je te rappelle cependant que la chanson se situe douze ans avant que commence le grand massacre, qu'elle annonce, qu'elle anticipe. Il s'agit de vivre l'histoire des canotiers.


Étrange, en effet, cette inconscience... Comme quoi, il est utile et important de maintenir et de développer le message contre la guerre, mais aussi contre la constitution de grandes machineries militaires...


Je voudrais quand même préciser ceci, mon ami Lucien l'âne, pour toi et sans doute aussi pour ceux qui vont nous lire. Il s'agit bien ici de raconter un siècle d'histoires d'Allemagne et non de faire l'Histoire de l'Allemagne; il s'agit encore moins de faire un réquisitoire contre tous les gens d'Allemagne. On peut d'ailleurs augurer que ce qui est décrit ici pour l'Allemagne, cette effervescence nationale se retrouve dans les autres États-Nations d'Europe et d'ailleurs et qu'elle y a les mêmes effets. Ce qu'il importe de percevoir et de comprendre, c'est combien une telle effervescence est perverse et en finale, meurtrière. Et comment elle a permis de manipuler les hommes pour que quelques temps plus tard, ils se lancent avec témérité et inconscience contre les voisins – avec la fameuse « fleur au fusil ».


D'accord, mais cette histoire de chapeaux, d'échange de chapeaux... Qui aurait dit que ce bouton d'or se muant en casque à pointe, quelques années plus tard, allait produire Verdun, la Somme, l'Isonzo, la Piave et tant d'autres grandes tueries...


On le dira encore souvent ici, comme le disait à la Barbara de Brest, Jacques Prévert : Quelle connerie la guerre ! Aujourd'hui comme hier, il est impératif de s'atteler à tisser, envers et contre tout, le linceul de ce vieux monde pervers, guerrier, inconscient et cacochyme.

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Le Zeppelin nous laissait la tête penchée
En arrière, enthousiastes et bouche bée
Tous au lycée, on acheta un chapeau de paille jaune doré ;
Un chapeau dit : scie circulaire ou canotier.
Je le posai à côté des Buddenbrooks, un fameux livre.
La Reichspost éditait les premiers timbres
Valables pour tout l'Empire
Les seins cuirassés, raide, sans sourire.
Germania (une grosse poitrine) s'y montrait de profil
Elle annonçait le progrès et la téléphonie sans fil
Et tout un remue-ménage futur, douze ans plus tard
Quand par centaines de milliers, elle nous appela dans les gares.
Un gendarme en pleine rue, tambour de ville, faisait grosse impression ;
Il proclamait – au nom de sa Majesté Guillaume – la mobilisation.
Fameux changement de décor.
On troqua nos canotiers bouton d'or
Contre des casques à pointe.
On partit la fleur au fusil, sans crainte.
En quelques dizaines d'heures,

On sera vainqueurs !

dimanche 14 septembre 2014

1903 - Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli

1903 - Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli


Canzone française – Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli – Marco Valdo M.I. – 2013
Histoires d'Allemagne 04


An de Grass 03

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.




Pour la finale, sur le terrain d'Altona
Nos onze joueurs étaient là en rang d'oignon










Ah, Lucien l'âne mon ami, me voilà bien embarrassé… très embarrassé même.


Et pourquoi donc ?, Marco Valdo M.I. mon ami, demande Lucien l'âne quelque peu éberlué par cette étrange entrée en matière.


Tout simplement pour ceci que comme je n'avais pas écrit ces Histoires d'Allemagne dans l'ordre chronologique, enfin pas tout à fait et que par exemple, celle-ci est la dernière que j'ai écrite des 100 qui constituent le récit, le commentaire tel qu'il fut écrit alors tient compte de cette circonstance et que dès lors, il fait référence à des canzones qui couvrent des années bien plus tardives que celle-ci, c'est-à-dire 1903. Ce désordre apparent et réel est survenu du fait de mon inexpérience. Je me suis trouvé – au début – devant des histoires dont je me demandais comment j'allais bien pouvoir les transformer en canzones. Comme il m'a fallu environ trois ans pour écrire ces cent histoires, il y a donc presque trois ans maintenant, je ne savais pas trop comment assaisonner, comment faire une chanson avec une histoire comme celle-ci. Mais avec le temps, finalement, je comprends mieux les choses ; surtout, celles qui ne sont pas explicitement dites.


Explique-moi ça concrètement... Aide-moi un peu..., dit Lucien l'âne un peu éberlué. De quelles choses parles-tu ? Donne-moi un exemple...


Les Pragois, par exemple. Que viendraient faire des Pragois dans un match qui doit désigner le champion d'Allemagne ? La réponse est simple... Ce sont les Allemands de Prague. Les Allemands de Prague, tu imagines... On est en 1901... Prague dans le championnat d'Allemagne... On sait ce que ça donnera en 1939, cette idée de Prague en Allemagne... Encore une chance que ce soit Leipzig qui ait gagné... Imagine un instant... Prague, champion d'Allemagne... Quelle ironie ! Une autre indication concernant l'équipe de Leipzig, cette fois... C'est un joueur Polonais naturalisé allemand, le dénommé Stany – dans la chanson et sur le terrain et de son nom civil : Bruno Stanischewski... qui va conduire l'équipe à la victoire. On en verra aussi bien d'autres des Polonais d'origine être naturalisés après 1939... Ainsi, tu peux voir que les phrases et les histoires ne sont pas aussi innocentes qu'elles en ont l'air.


On dirait même parfois qu'elles font de la prémonition, dit Lucien Lane en clignant malignement de l’œil gauche.


J'irais jusqu'à dire de la prédiction créatrice. Et dans le fond, ce n'est pas si faux... Les mots, les histoires construisent le monde ou en tous cas, participent de la création du monde ou autrement dit, interfèrent dans l'Histoire. D'ailleurs, le mot histoire lui-même, tel que je viens de l'utiliser, est actuellement un mot suspect ; c'est un mot qui déplaît, c'est un mot tabou. Car en parlant d'histoire, je fais deux choses : j'inscris ma chanson dans un monde de la durée, un monde qui s'échappe de l’instantané, de l'événementiel, de l'immédiateté, du superficiel et j'entame une réflexion, je remets en action la pensée comme mode d'organisation du monde – la pensée et pas la hasardeuse main invisible si chère aux économistes. Le mot « Histoire » est aussi suspect car il a un sens et ce sens de l'histoire – à la fois, direction et signification, ce sens de l'histoire renvoie à ce qui se passe dans la durée, à voir ce qui déchire le monde dans la durée, à voir que la guerre n'est pas un processus accidentel, mais un élément constitutif de notre monde, de celui dans lequel actuellement nous vivons ; en bref, il renvoie à la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre que les riches font aux pauvres pour imposer leur pouvoir, pour instaurer leur domination, pour assurer leurs privilèges, pour accroître encore et toujours leurs richesses. Et à partir de là, la pensée se met à gamberger, elle gagne sa liberté, elle échappe aux contrôles, elle se refuse à la domestication et elle se met à penser le monde, à y introduire de la conscience, à y voir ce qui s'y fait et à dire ce qui ne se fait pas. À partir de là, elle entre en résistance...


Ora e sempre : Resistenza ! , dit Lucien l'âne. Mais pour en revenir à la canzone, il me semble que tu avais déjà raconté des matchs de football...


En effet et si je me souviens bien, il y en a déjà eu trois... Il y eut dans l'ordre chronologique : Bottines et gros souliers (vers 1912) , Le Pied d'Ivan (1942) et Le Miracle de Berne (1954) .


Alors, si tu le veux bien, passons à la chanson et puis, nous reprendrons notre tâche et ensemble, tels des canuts d'aujourd'hui, nous tisserons le linceul de ce vieux monde volatil, superficiel, concurrentiel, hasardeux et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Après notre sept à deux, on a dit
Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli
La veille du match, tard dans la nuit
Passer du bon temps avec les filles
C'est une légende, c'est un bruit

Ce qui est sûr, c'est que nous
À dix-sept, dans le train de nuit
Depuis Leipzig et pas en wagon-lits,
Tous en troisième classe, qu'on était nous.

Pour la finale, sur le terrain d'Altona
Nos onze joueurs étaient là en rang d'oignon
Et même l'arbitre et les onze Pragois,
Deux mille spectateurs et pas de ballon.

Les Pragois ne rigolaient pas
Le public et nous, on riait gaiement
L'arbitre, un joueur d'Altona
Regardait sa montre pour passer le temps

Enfin, le ballon arriva
Le soleil et le vent du côté des Pragois
Grâce à quoi, Meyer mit le premier but
Friedrich mit, pour nous, le deuxième but

À la mi-temps, on en était toujours là.
Ensuite, le vent changea
Bref, avec Stany et Riso, le festival
Nous mena au premier titre national

L’arbitre qui s'y connaissait
Impartial concluait
Par écrit et de sa main
Les meilleurs ont gagné, à la fin.

Après notre sept à deux, on a dit
Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli
La veille du match, tard dans la nuit
Passer du bon temps avec les filles
C'est une légende, c'est un bruit

L’arbitre qui s'y connaissait
Impartial concluait
Par écrit et de sa main
Les meilleurs ont gagné, à la fin.


jeudi 11 septembre 2014

1904 – Une Grande Grève


1904 – Une Grande Grève


Canzone française – Une Grande Grève – 1904 – Marco Valdo M.I. – 2010
Histoires d'Allemagne 5

An de Grass : 4

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également)et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



Wagonnet refusé, travail pas payé
On fait la grève pour ça, ici
Chez nous, dans les puits, on a démarré juste avant Noël






Voilà une chanson qui raconte la grève des mineurs de la Ruhr de la fin 1904 – début 1905 – 200.000 mineurs en grève, le poumon ou le moteur industriel de l'Allemagne à l'arrêt... Comment faire de l'acier sans charbon ? Cette grève a lieu au même moment où en Russie, une grève générale vient, elle aussi, bousculer l'Empire du tsar, alors en guerre contre le Japon. Juste un détail, cette grève des mineurs de la Ruhr est généralement située en 1905... Mais on voit dans la canzone qu'elle commence juste en fin d'année – à Noël. Cela dit, ce n'est pas un mouvement isolé, il s'inscrit dans une série de grands mouvements de grève partout en Europe dans ces années-là : en Belgique, principalement en Wallonie, 125.000 grévistes en 1891, 250.000 en 1893, en 1896-97, grèves en Russie, aux Zétazunis en 1900, 1902 en Autriche, 1903 en France, 1904 grève générale en Italie, à nouveau en Wallonie, puis aux Pays-Bas... Grève de mineurs en Chine, un peu plus tard (1906)... Je me demande d’ailleurs si on faisait pareil relevé chaque jour dans la presse, ce que cela donnerait aujourd’hui... Mais on nous sert des résultats de foot, des histoires de fesses et des cours de bourse à n'en plus finir...Sans oublier les assassinats et autres plaisanteries fines.


Nous voilà donc en plein dans l'histoire d'un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches mènent avec constance, ruse et mensonges contre les pauvres (ici, les mineurs) afin d'imposer leur pouvoir, de renforcer leur domination, d'accroître l'exploitation, d'étendre leurs privilèges... , dit Lucien l'âne en balançant la tête pour souligner son propos. Et regarde comme ils renient – au plus vite – leurs engagements, regarde comme ils reprennent de la main droite ce qu'ils ont dû céder de la main gauche. Tous les moyens sont bons, tous les arguments sont bons pour accroître leurs profits : réduire les salaires, ne pas payer le travail, augmenter le nombre d'heures de travail, accélérer les cadences, augmenter la charge de travail – ils appellent ça, regarde le beau nom qu'ils ont trouvé : augmenter la productivité. Il a raison celui qui parle d'esclaves du salariat. Et puis, dis-moi Marco Valdo M.I. mon ami, que viennent faire les Hottentots dans cette histoire ?


Tu as raison, Lucien l'âne mon ami, dit Marco Valdo M.I.. Que viennent faire les Hottentots dans cette grève des mineurs de la Ruhr ? D'abord, dis-toi bien qu'ils ne sont pas là par hasard. Ils sont le résultat de la Weltpolitik de Guillaume; les Hottentots sont les populations des territoires que le partage du gâteau mondial entre les riches, qu'on appelle aussi la colonisation, a réservés à l'Allemagne. Cette année-là, précisément, l'Allemagne venait d'envoyer 15.000 hommes pour réprimer dans le sang une révolte des populations bantoues de l'actuelle Namibie et du Botswana, qui étaient à cette époque des possessions allemandes. Comme disait Guillaume au corps expéditionnaire en Chine : sans faire de quartier. Ce fut un gigantesque génocide avec création de camps de concentration; on massacra les Hereros et les Hottentots... Ensuite, pour ce qui est du rapport avec la grève dans la Ruhr, c'est la même armée, le même pouvoir qui envoie l'armée... mais remarque, qu'il y a quand même deux poids, deux mesures... Les Africains, les Nègres comme on disait alors... on les massacre sans hésitation. On tire encore en l'air sur les mineurs allemands; pour eux aussi, les camps de concentration et les fusillades viendront, mais plus tard.


Et les Pinkertons ? De quoi s'agit-il ? Je n'en ai jamais rencontré moi, des Pinkertons...


En fait, Lucien l'âne mon ami, ce n'étaient pas de vrais Pinkertons, pas des Pinkertons authentiques... Ceux-là, on ne les trouvait qu'aux Zétazunis. Mais leurs émules allemands faisaient du zèle. Bon, voici ce qu'est un Pinkerton... En fait, c'est un employé d'une société étazunienne, une agence de détectives dénommée précisément Pinkerton. L'agence Pinkerton, qui va employer des milliers de détectives, matraqueurs, vigiles, tueurs, lyncheurs... pour détruire les organisations ouvrières aux Zétazunis et briser les grèves. Tous les moyens sont bons pour les Pinkertons, à commencer par l'espionnage, la délation, l'infiltration, le mensonge, le matraquage, l'assassinat et le lynchage. En fait, ce sont des milices patronales... Les nervis des riches. On les a retrouvés à l'œuvre en Irak, sous un autre nom, fournis par une autre société... On doit à la provocation d'agents de Pinkerton le massacre du Haymarket (Chicago - 1886), dont la journée internationale du Premier Mai garde le souvenir. L’agence Pinkerton sévit toujours sous le nom de Securitas AB. Bref, la canzone indique que les patrons des mines ont engagé des gens pour protéger les jaunes, pour faire ce que font les « Pinkertons »...


Ainsi, la Guerre de Cent Mille Ans a mille facettes et elle ne s'interrompt jamais... Raison de plus pour ne jamais cesser de tisser le linceul de ce vieux monde assassin et cacochyme.


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Tout a commencé avec les wagonnets refusés
Charbon pas propre, wagonnet pas rempli
Wagonnet refusé, travail pas payé
On fait la grève pour ça, ici
Chez nous, dans les puits, on a démarré juste avant Noël
En tout cas, le Comité de grève était formel
L'accord de 89 à Berlin, on avait la journée de huit heures.
Pourtant, partout, ils allongent les horaires.
Chez nous, au fond de la mine, on fait déjà dix heures.
Paraît qu'ils refont des listes noires.
En Russie, ça sent la révolution; à Berlin, Liebknecht commençait à parler
L'armée est arrivée; sans hésiter, elle a tout canardé.
Liebknecht disait : les ouvriers russes à Saint-Pétersbourg
Et nous ici, les ouvriers allemands dans la Ruhr
On était des héros du prolétariat
Moi, je dis que nous sommes des esclaves du salariat.
Comme en Namibie contre les Hottentots, la troupe est passée à l'attaque.
Elle a repoussé les Hereros dans le désert.
À présent en Russie, ils ont décrété l'état de guerre...
Chez nous, il y a des Pinkertons, en col blanc, brassards et matraques.



Les Africains, les Nègres comme on disait alors... on les massacre sans hésitation. On tire encore en l'air sur les mineurs allemands; pour eux aussi, les camps de concentration et les fusillades viendront, mais plus tard.

lundi 8 septembre 2014

1905 - La belle canonnière


1905 - La belle canonnière


Canzone française – La belle canonnière – 1905 – Marco Valdo M.I. – 2010
Histoires d'Allemagne 06

An de Grass 05
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.




La belle canonnière à son retour d'Afrique
Triste Panthère, finit sa vie dans la Baltique


Bon voilà, Lucien l'âne mon ami, j'espère que tu te souviens des chansons de ton enfance ou alors, que tu as entendu des enfants chanter lors de tes séjours au long des côtes de France, cette chanson, cette comptine des plus célèbres où il est question d'un petit navire qui entreprit un long voyage... et qui relate toutes les aventures qui lui arrivèrent... Le premier couplet reprend d'ailleurs le premier couplet de la chanson traditionnelle… La canzone de ce jour reprend l'idée, le thème de cette chanson du folklore en l'adaptant au récit de Günter Grass pour l'année 1905. Ce récit relate l'histoire de l'expansionnisme colonial de Guillaume II en Amérique – qui a totalement foiré, et en Afrique où s'il eut une certaine réussite – souviens-toi du massacre des Hottentots et des Hereros, par exemple – fut un échec ridicule au Maroc. C'est en fait une illustration des tentatives impériales à l'échelle du monde. Sa présence en Chine est déjà connue dès la chanson intitulée L'été à Pékin.


Bien sûr que je la connais cette comptine... Veux-tu que je te la chante... Et bien sûr, que je me souviens de ces nattes de Chine sur la place Tienanmen où furent commis de grands crimes... Et que fait donc ce petit navire dans cette canzone ?


D'abord, je précise qu'il s'agit d'une canonnière et qu'elle s'appelle la Panthère, née à Dantzig en 1900, mise à l'eau en 1902. Tout un programme... Évidemment, elle fait un long voyage. Partie de Wilhelmshaven sur la Mer du Nord, elle reviendra à Kiel sur la Baltique après mille aventures en Amérique où elle ira couler un pirate, remonter l'Orénoque, faire la guerre au Vénézuela, bombarder le fort San Carlos, près de Maracaïbo, puis elle remonte au Canada, repart au Brésil, au Paraguay... Puis se rend en Afrique où elle va visiter les colonies allemandes, qu'on a un peu oubliées aujourd'hui. Toujours aux ordres, elle termine impromptu ce périple à Agadir, en 1911, une expédition de tous les dangers qui faillit déclencher prématurément la guerre entre l'Allemagne, d'un côté, la France et l'Angleterre, de l'autre. Un effet de la Weltpolitik un peu audacieuse et imprudente de Guillaume II, empereur d'Allemagne. Elle se verra refuser l'accès aux ports européens – sauf allemands, bien sûr et repartira pour un dernier périple avant d’être confinée à la Baltique.


En somme, on dirait qu'elle raconte à elle toute seule la politique mondiale de l'Empereur Guillaume II et la fin des ambitions coloniales de l'Allemagne – hors Europe, on se comprend.


En effet, elle incarne à elle toute seule le concept guerrier de « politique de la canonnière », dont on peut voir des descendants dans les raids aériens d'intimidation dont usent certains pays. En Allemagne, il faudra attendre le Reich de Mille Ans pour voir revenir à la surface une ambition plus folle encore que celle de Guillaume II. Il faut se méfier de ces gens qui ont des idées de Reich, d'Impero, d'Empire... ou qui se croient investis d'une mission de guider le monde.


Oui, certes, tu as raison... Cela me rappelle cette sentence du vieux philosophe : « À force de jouer aux cons, on finit toujours par gagner ». Alors, alors, afin de sortir de cet univers mortifère et liberticide, tissons Marco Valdo M.I. mon ami, le linceul de ce vieux monde ambitieux et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.


Il était un petit navire,
Il était un petit navire,
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Ohé, ohé, matelot, matelot,
Navigue sur les flots
Ohé, ohé, matelot, matelot,
Navigue sur les flots

C'était une belle canonnière,
C'était une belle canonnière,
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui vînt au jour en mil neuf cent,
Et prit la mer à l'âge de deux ans, la belle enfant
Sœur de Jaguar et de Tiger
On l'appela Panthère
On lui donna un destin colonial
Pour servir le dessein impérial

Elle partit pour les Amériques
Elle partit pour les Amériques
Elle qui n'avait ja, ja, jamais tant navigué
Elle qui n'avait ja, ja, jamais tant navigué
Elle coule un pirate en Haïti
Elle coule un pirate en Haïti, mais oui, mais oui
Après un tour sur l'Orénoque et une guerre au Vénézuela
En mil neuf cent cinq, elle est toujours là
La belle Panthère au large de l'Amazonie,
Au large de l'Amazonie, mais oui, mais oui



Elle fit le tour des colonies d'Afrique,
Pour raison de Weltpolitik,
Elle qui avait déjà tant, tant, tant navigué
Elle qui avait déjà tant, tant, tant navigué
L’Empereur Guillaume rendait visite au Bey
Sur un cheval blanc, il traversait Tanger
La foule admirait son casque à l'aigle
Qui rutilait fièrement au soleil du matin
Moi, je trouvais ridicule, moi, je trouvais ridicule
Ce casque à pointe sous le ciel marocain, le ciel marocain.


Six ans plus tard, la belle Panthère
Six ans plus tard, la belle Panthère
Elle qui avait déjà tant, tant, tant navigué
Elle qui avait déjà tant, tant, tant navigué
Vînt s'installer dans la baie d'Agadir
Et fit un peu de bruit avant de repartir.
Seul le casque impérial eut un effet durable
On en trouve encore des miniatures sur les tables.
La belle canonnière à son retour d'Afrique
Triste Panthère, finit sa vie dans la Baltique
Elle qui avait tant, tant, tant navigué
Elle qui avait tant, tant, tant navigué
Ohé, ohé...

1906 – U 1, et cætera


1906 – U 1, et cætera

Canzone française – U 1, et cætera – 1906 – Marco Valdo M.I. – 2011

Histoires d'Allemagne 07


An de Grass : 06

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



À Eckernförde, au chantier naval
Dans le plus grand secret national
On mettait à l'eau, un beau matin
Notre U1, notre premier grand sous-marin





Cette fois encore, Lucien l'âne mon ami, nous allons à la mer et même, plus exactement, sous la mer. C'est une chanson qui relate l’histoire des sous-marins allemands (Unterseeboote) et cela, à partir d'un événement de
l'année 1906 : la livraison à la Marine Impériale du premier sous-marin
allemand : le U 1 (Unterseeboot 1), ainsi nommé en bonne logique et le
suivant, c'est assez farce dans un site de chanson s'appellera : U2, et ainsi desuite, d'où, le « et cætera ». Enfin, relater n'est pas le mot exact, ce serait plutôt, qui évoque. Ce n'est pas qu'on ait ici un goût particulier pour
l'historiographie guerrière, loin de là. On préfère essayer de comprendre la
guerre pour mieux la dénoncer et forcément, en limiter les effets, notamment les effets de la guerre sous l'angle militaire. Ce n'est pas simple. Sachant que la guerre militaire est toujours la résultante de soubresauts qui se déroulent à l'intérieur de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour accroître leurs richesses, leurs pouvoirs, leurs privilèges, leurs possessions... J'ajoute que ces riches peuvent être de conformations diverses : ce peut être des gens, ce peut être des entités économiques, des entités étatiques, des groupes, des bandes ... Mais tous ont le même comportement général, le même but... Même s'il existe des rivalités entre riches, l'addition est toujours très lourde pour les pauvres. En fait, et en définitive, ce sont toujours eux qui finissent par payer la note. Il y a donc tout intérêt à limiter les guerres dans leurs versions les plus brutales et les plus criminogènes.


Je te comprends, mon ami Marco Valdo M.I. et je vois bien le sens de ce que tu me dis. Mais, dis-moi, que raconte exactement cette canzone ?


Comme je te l'ai dit, elle prend le prétexte ou elle a comme point de départ,
c'est comme on voudra, le lancement en août 1906 – il y a déjà un siècle, du premier sous-marin allemand à Kiel. Ce n'est pas ici, non plus, le lieu de faire l'histoire des sous-marins depuis l'Antiquité, quoique cette histoire
existe véritablement. Il s'agit juste, ainsi que je l'ai dit dès le départ, de
suivre Günter Grass dans ses pérégrinations au travers du XXième siècle,
soit de 1900 à 2000. Cependant, cette pérégrination, outre de sortir de
l'imagination et des méditations d'un des plus grands écrivains du siècle
écoulé, a également le mérite de lever un peu le voile sur la question «
comment en est-on arrivé là ? » (par exemple, aux folies démentes du Reich
de Mille Ans), vu par un écrivain – allemand. Et ici, en ce qui concerne
spécifiquement, les sous-marins et les sous-mariniers, les dégâts qu'ils
causèrent et qu'ils subirent. On verra également combien – et c'est à mon
avis une loi du genre – la guerre est un jeu idiot, où il n'y a jamais de
vainqueurs tant les additions sont lourdes. C'est le jeu de « Qui gagne, perd aussi ».


J'imagine bien que ni Günter Grass, ni toi, n'avez l’intention de faire de
l'apologie guerrière.


En effet, on verra à la fin de la canzone que c'est bien le contraire. Pour en
revenir à une particularité extraordinaire de cette canzone, fidèlement
reprise de l'année 1906 de Günter Grass, c'est la présence du récit dans le
récit, d'un récit de Conan Doyle dans un récit de Günter Grass…

Et du récit de Günter Grass dans la canzone, qui est elle-même un récit..., dit Lucien l'âne en riant de tout son piano facial.

Mais il y a plus... Le récit de Conan Doyle est une sorte de discours de
Cassandre... Il raconte en fait l'intervention (victorieuse dans son récit) des
sous-marins de la Norlande contre l'Angleterre... Récit prémonitoire, s'il en fut. Il s'en est fallu de pas grand chose pour qu'il en soit ainsi et que les sous-marins (U-Boote) mettent à genoux l'Angleterre... et cela, dans les deux guerres. Mais ceci sort du cadre de la canzone... Il y a une dernière chose, c'est le titre lui-même et le refrain, U1 et cætera – qui renvoie à La Marseillaise ,vue par Serge Gainsbourg... qui fit tant rager certains militaires nationalistes français. Manière comme une autre de faire un clin d’œil à ce grand garçon de la chanson.


Tout ça n'empêche pas, dit Lucien l'âne, bien au contraire, que nous
reprenions notre tâche quotidienne qui, je le rappelle, est de tisser le linceul
de ce vieux monde trop militaire et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



À Kiel, j'y étais le 4 août
Au mois de Marie, au mois le plus doux
À Eckernförde, au chantier naval
Dans le plus grand secret national
On mettait à l'eau, un beau matin
Notre U1, notre premier grand sous-marin
Trente mètres de fond et hop, au large
L'ennemi n'en mènera pas large
Plongée rapide, périscope aux aguets
Les bateaux sont en vue de la terre
« Torpille... Feu ! » Coulé ! Nous, on applaudissait.
Ce n'est encore qu'un rêve. Vivement la guerre !
Ah, ils en feront couler les gars
Des bateaux des grands, des lourds, des invincibles
Ah, ils en feront des dégâts.
C'est la chanson de l'Untersee, c'est la chanson du submersible
U1, et cætera, U1, et cætera,
U1, et cætera, U1, et cætera…

Le capitaine John Sirius l'a prédit
Et ce sera ainsi
Les submersibles s'en iront sous l'eau
Piéger la Tamise, couler les bateaux
Alpha, Bêta, Gamma, Thêta, Delta, Epsilon, Iota
Ne se rendront pas
On coulera, dit Doyle, l'Adela – chargé d'agneaux
Et chargés de blé, le Moldavia et le Cusco
L'avertissement de Sir Arthur intitulé « Danger »
Eut l'effet escompté, l'Angleterre put se sauver
Et nos submersibles par centaines furent coulés
Et nos gars moururent par milliers.
Ah, ils ont coulé nos gars
Nos sous-marins sont de belles cibles
Ah, par milliers, ils n'en reviendront pas
C'est la chanson de l'Untersee, c'est la chanson du submersible
U1, et cætera, U1, et cætera,
U1, et cætera, U1, et cætera...